Réversibilité des nouvelles constructions, maisons à énergie positive, création de nouveaux centres-villes dans le sillage du Grand Paris… le marché immobilier en Ile-de-France présente de nouvelles dynamiques très prometteuses.
Mixité. Reconversion. Ecologie. Cités innovantes. Le monde de la promotion immobilière n’a que ces mots à la bouche. Ces grandes tendances pour les trois décennies à venir sont déjà bien ancrées dans les projets en cours. Pour les comprendre, il faut d’abord prendre un peu de recul et regarder la région parisienne dans son ensemble, avec son hypercentre – Paris intramuros donc –, les différentes couronnes autour de la capitale, et les nouveaux centres qui vont sortir de terre dans le sillage des nouvelles gares du Grand Paris. Car ces îlots vont constituer de nouveaux centres à forte densité. Et, pour les promoteurs, ceux-ci représentent des défis très excitants. « Comme les programmes sur lesquels nous travaillons sont situés en zone urbaine dense, explique Marc Villand, PDG d’Interconstruction et nouveau président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) d’Ile-de-France, ceux-ci sont complexes et intègrent une mixité de produits : commerces, activités, logements sociaux, logements en accession, logements à prix maîtrisé, bureaux… Il faut donc concilier différentes façons d’habiter et différents parcours résidentiels. La réponse de notre groupe est une réponse de haute couture. Pour chacun de nos programmes, nous développons cette même démarche. Nous faisons du “sur-mesure” pratiquement au prix du prêt-à-porter. »
Cet esprit du « sur-mesure » implique en réalité beaucoup de choses. Face à la congestion croissante des villes, les promoteurs doivent repenser les fondations-mêmes de la cité, de la mobilité urbaine aux bâtiments à énergie positive, en passant par la fameuse réversibilité des constructions.
La réversibilité, une stratégie à long terme
Cette idée du « sur-mesure » et cette réversibilité permettront aux villes de se réinventer. Il s’agit en effet aujourd’hui de prévoir les différentes vies que pourront avec les bâtiments de demain. Penser réversible, c’est penser adaptabilité, économies, souplesse. Habiter et travailler dans un même lieu implique de dissocier programmes et procédés de construction dès la planche à dessin et la conception des immeubles. Anticiper dès le premier coup de crayon l’évolution d’un bâtiment permet en effet des économies à long termes, car les coûts de transformation sont aujourd’hui très élevés. « Le principe de réversibilité pourrait être l’une des réponses à l’endémique crise de l’habitat, explique Patrick Rubin, fondateur de Canal Architecture. Surtout dans un contexte sociétal, économique et immobilier où la pénurie de logements est concomitante à la vacance de millions de mètres carrés de bureaux pour cause d’obsolescence. En phase d’étude et une fois construit, un immeuble réversible se prête avec souplesse à la modification de son programme, ce qui peut favoriser la participation d’investisseurs ou de futurs usagers à l’élaboration des projets. »
Cette idée, si séduisante soit-elle, se heurte pour l’instant à des écueils plus administratifs que techniques. « L’urbanisation “responsable” passe d’abord par la responsabilité réglementaire, reprend M. Villand d’Interconstruction. La réglementation doit permettre plus de réversibilité, plus de mixité, non seulement sociale mais aussi en termes de produits. A partir du moment où l’on peut aujourd’hui travailler sous un arrêt de bus ou dans sa salle de bain, quel est le sens des catégories d’affectation des locaux telles qu’elles sont définies par le code de l’urbanisme ? Le règlement doit accompagner voire anticiper les changements ; or il a aujourd’hui deux trains de retard sur les mutations de la société. » Un point de vue partagé par M. Rubin. Selon lui, le premier frein à la généralisation de la réversibilité tient aux multiples normes et règlements souvent contradictoires qui régissent la construction des différents types de programmes, bureaux et logements en tête. Hauteur, exposition à l’ensoleillement, sécurité, accessibilité, relation à l’environnement… tous ces paramètres sont trop différents les uns des autres pour pouvoir aujourd’hui se rejoindre. « Les plus grands freins ne sont donc pas techniques ou architecturaux, mais de l’ordre politique, juridique, fiscal et financier », conclut-il. Reste donc aux pouvoirs publics de revoir leur copie et de simplifier les textes en vigueur. Parce que le potentiel est bel et bien là. Il n’y a, pour se convaincre de la schizophrénie du marché des bureaux, qu’à jeter un œil aux chiffres : en 2015, l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise (ORIE) estimait à 2,2 millions de mètres carrés les bureaux impossibles à louer dans la région francilienne, sur les 3,9 millions de mètres carrés de bureaux vacants. Rien qu’à Paris intra-muros, 7% de la surface de bureaux sont vacants. Pourtant, les chantiers tournent à plein régime. En 2016, une étude du cabinet Deloitte notait une augmentation de 20% sur six mois de la construction de bureaux neufs, principalement dans l’ouest parisien. Dans les dix ans qui viennent, le marché des bureaux va donc devoir faire l’amalgame entre l’ancien et le nouveau.
L’énergie au centre de toutes les attentions
Côté habitations, le « nouveau » offre lui aussi d’alléchantes perspectives. L’industrie du BTP a intégré le besoin impératif de créer des bâtiments à énergie positive. Et même, dans le meilleur des cas, des maisons « excédentaires ». Ces maisons présentent une enveloppe passive, sans déperdition d’énergie ce qui leur permet de conserver la chaleur l’hiver et la fraîcheur l’été. Ces maisons individuelles sont toutes équipées de triple vitrage, et sont orientées plein sud, face au soleil, pour faire tourner à plein régime les panneaux solaires sur leurs toitures.
Ces projets fleurissent déjà, tout autour de Paris. « Ces maisons sont édifiées de façon traditionnelle, explique Eric Lecoq, promoteur immobilier et directeur général d’Elgéa. Elles sont compactes, faites-en briques et dotées d’une isolation intérieure renforcée. Nous avons voulu montrer que des maisons à énergie positive ne sont pas toujours construites en bois. » Ces maisons devraient se généraliser assez rapidement. Car leurs propriétaires en sont les meilleurs ambassadeurs : avec un surplus d’énergie revendu à EDF-ENR, ils effacent leur ardoise et gagnent même entre 100 et 150 euros par mois. A l’échelle d’une maison individuelle, l’avenir semble donc prometteur. Que dire à l’échelle d’une ville entière…
La science-fiction, c’est demain
Car parfois, les promoteurs immobiliers ont la possibilité de prendre un territoire à partir de zéro. « From scratch », comme disent les Anglo-Saxons. Plusieurs grands projets sont en cours d’implantation, menés par des cabinets prestigieux. C’est le cas par exemple du danois BIG (Bjarke Ingels Group) – auteur du siège de Google dans la Silicon Valley – qui œuvre depuis l’an dernier pour le compte d’Immochan, la filière du groupe Auchan. BIG va faire sortir de terre le projet EuropaCity dans la zone rurale de Gonesse, à quelques encablures de l’aéroport de Roissy. EuropaCity, un projet que les villes nouvelles des Emirats ou de Chine n’ont pas osé rêver. Il s’agira d’un complexe de 80 hectares. Il comportera des centres commerciaux, des infrastructures de loisirs, un centre aquatique, un cirque, un terrain de golf, un mode de transport révolutionnaire, des bureaux et des logements, et bien sûr une gare RER. Le tout pour un budget prévu de 3,1 milliards d’euros. Livraison prévue en 2024 pour ce qui sera, selon ses promoteurs, le plus grand complexe commercial d’Europe. Selon Bjarke Ingels, architecte et fondateur de BIG, « le Grand Paris redessinera l’espace et gagnera en diversité. En 2024, quand vous atterrirez à Charles de Gaulle, vous verrez par le hublot un nouveau repère, un lieu hybride, paysager et vallonné, une œuvre de “land art”. Ce sera la nouvelle porte d’entrée de Paris ». On a hâte de sonner à la porte.